Revivez #LaREF25 - "Terres rares, énergies nouvelles - piège ou promesse ?"
Avec Marc Ferracci, Pierre-Etienne Franc, Philippe Kehren, Marie Perrin, Guillaume Pitron et animé par Raphaëlle Duchemin.
Verbatim
Guillaume Pitron : "Nous avons mis la charrue avant les bœufs !"
"On n'a jamais pensé à l'extraction et au raffinage des terres rares, nécessaires à la décarbonation."
Marie Perrin : "Les prix sur les terres rares ont fait jusqu'à 700 %."
"Nous sommes face à une crise, comment réagit-on ?"
Marc Ferracci : "Derrière les terres rares, il y a une histoire de dépendance, qui vient percuter une autre dépendance, celle aux énergies fossiles."
"Il faut appuyer sur plusieurs leviers ; celui de la technologie, celui d'extraire et de raffiner plus sur notre sol, celui de diversifier les approvisionnements et celui du recyclage."
"Les terres rares ne sont pas si rares, ce sont les capacités de raffinage qui le sont."
Pierre-Etienne Franc : "Le gaz peut s'arrêter du jour au lendemain, ce qui n'est pas le cas pour le renouvelable et les terres rares."
"Il faut travailler la souveraineté de l'accès."
"Sans la Chine, cette transition ne se fera pas aussi vite que nécessaire."
Philippe Kehren : "Nous avons un problème de chaîne de valeur ! Il faut la développer dans sa totalité."
Guillaume Pitron : "Il faut 16 ans en moyenne pour ouvrir une usine ! Pour la chaîne de valeur, c'est encore plus. Les Chinois ont mis 25 ans."
"Il faut avoir une logique de filière pour tous les métaux."
Philippe Kehren : "Il faut trouver le moyen d'inciter nos clients à acheter local !"
Marc Ferracci : "Les incitations à acheter local existent sur le papier, maintenant, il faut les faire vivre ! Nous devons aller collectivement plus vite et plus loin."
"La mine, ce n'est plus Germinal !"
"Nos concurrents ont de l'avance, ce sera difficile de les rattraper !"
Marie Perrin : "On utilise souvent des terres rares sans en avoir conscience !"
Guillaume Pitron : "La préférence européenne ne peut être effective qu'à l'échelle de ce que l'Europe peut produire !"
Marc Ferracci : "On voit surgir le prix de la dépendance !"
"On ne part pas de rien ! Un certain nombre de projets sont soutenus par l'Etat, l'enjeu est d'articuler cela à la stratégie européenne."
Marie Perrin : "Il faut utiliser toute la filière du recyclage pour exploiter les "mines urbaines" de terres rares."
"Plein de filières n'ont pas encore été exploitées !"
Guillaume Pitron : "Même quand on sait faire, on ne veut rien faire, car c'est moins cher d'aller chercher des terres rares chez les Chinois que dans des produits recyclés."
Marc Ferracci : "Il faut concevoir la politique industrielle de manière globale !"
Pierre-Etienne Franc : "Une autre solution est aussi d'utiliser moins de métaux rares !"
"Il faut aussi une réglementation saine, simple et efficace."
Guillaume Pitron : "Nous allons consommer plus de métaux dans les dix prochaines années que tous les métaux consommés depuis 70 000 ans !"
"Nous allons vers un monde haute matière !"
Philippe Kehren : "Diversifier ses sources est une question de volonté !"
Marc Ferracci : "La sortie des dépendances ne pourra se faire en forant exclusivement ailleurs !"
Guillaume Pitron : "Personne ne veut de la partie noire des énergies vertes !"
Marc Ferracci : "Développer les énergies renouvelables et les métaux rares n'est pas un piège, c'est un impératif !"
Philippe Kehren : "On a un vrai savoir-faire, donc c'est une belle promesse !"
Pour aller plus loin
La transition énergétique s’accélère. Solaire, éolien, hydrogène : le monde veut tourner la page des énergies fossiles. Mais pour fabriquer cette nouvelle promesse verte, il faut une autre matière première, invisible et stratégique : les terres rares. Le rêve d’une énergie propre repose sur ces 17 métaux aux noms exotiques — néodyme, dysprosium, cérium, yttrium — devenus les rouages silencieux de nos technologies vertes. Mais à mesure que leur demande explose, une autre réalité s’impose : celle d’une nouvelle dépendance, d’un nouveau coût, d’un nouveau risque.
La face cachée des technologies propres
On célèbre les vertus de l’éolien, de la voiture électrique, de l’hydrogène vert. Mais peu mesurent que cette révolution repose sur une chaîne d’approvisionnement fragile. Sans terres rares, pas d’électrolyseurs performants, pas de batteries, pas d’aimants puissants pour les éoliennes offshore. L’hydrogène, souvent présenté comme le Graal de la neutralité carbone, suppose-lui aussi une maîtrise fine de matériaux critiques pour produire, stocker et distribuer cette énergie. En clair, pas d’énergies nouvelles sans métaux critiques.
Et aujourd’hui, ces métaux viennent à 70 %… de Chine.
Une nouvelle dépendance stratégique
Depuis les années 90, Pékin a bâti une hégémonie implacable : mines, raffinage, exportations. En 2021, l’Union européenne dépendait à 98 % des terres rares chinoises. La promesse d’un modèle énergétique décarboné risque donc d’être géopolitiquement verrouillée. Or, dans un monde fragmenté, multipolaire, marqué par la montée des tensions commerciales et technologiques, cette dépendance est une vulnérabilité. Une faille dans l’armure de la souveraineté industrielle européenne.
Certes, les alternatives existent : ouverture de mines en Suède, relocalisation au Canada, diversification au Vietnam ou en Afrique. Mais rien ne se fait en moins de dix ans. Le recyclage ? Prometteur mais embryonnaire : à peine 1 % des terres rares sont réutilisées aujourd’hui. Les matériaux de substitution ? Encore loin de rivaliser en performance. La réalité est brute : la transition énergétique est encore terriblement dépendante d’un modèle linéaire, centralisé… et non maîtrisé.
Un paradoxe écologique
La transition est verte. Mais son socle est gris. L’extraction des terres rares pollue les eaux, dévaste les sols, intoxique les populations. À Baotou, en Mongolie intérieure, les boues toxiques issues des usines de raffinage ont transformé un lac artificiel en cimetière chimique. Comment accepter que l’énergie propre que nous vantons à Paris ou à Berlin soit bâtie sur un désastre écologique à l’autre bout du monde ?
Peut-on réellement prétendre sauver le climat en sacrifiant des territoires entiers ? Le coût environnemental — et humain — de cette nouvelle course au minerai est tout simplement incompatible avec les promesses éthiques de la transition.
Trancher, vite, et collectivement
Nous sommes face à une équation périlleuse : climatique, industrielle, géopolitique. Les États ne peuvent plus esquiver le choix. Soit ils investissent massivement dans la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement — extraction durable, recyclage, substitution, alliances stratégiques —, soit ils s’enferment dans une nouvelle forme de dépendance, plus silencieuse, mais tout aussi contraignante que celle du pétrole.
La question est simple : qui tiendra la clé des énergies nouvelles demain ? Ceux qui maîtrisent les technologies… ou ceux qui contrôlent les matériaux ? Une chose est certaine : sans stratégie, l’Europe sera spectatrice. Et sans coordination, elle sera divisée.
Comme pour l’énergie au XXe siècle, les métaux du XXIe siècle appellent une réponse collective. Faudra-t-il une nouvelle OPEP des terres rares ? Une gouvernance mondiale des ressources critiques ? Pourquoi pas. Mais le temps presse. Car sans vision claire, la promesse verte risque bien de se transformer en piège doré.
Une course qui impose un sursaut collectif
Car il y a urgence. Comme l’a rappelé le géologue Olivier Vidal, entre 2015 et 2050, l’humanité consommera autant de métaux qu’elle en a consommés depuis la Préhistoire. La question n’est plus de savoir si les terres rares seront un enjeu, mais comment nous allons les gérer. Sommes-nous prêts à déléguer notre souveraineté énergétique pour accélérer la transition ? À polluer ailleurs pour verdir ici ? À ignorer les déséquilibres géopolitiques pour tenir nos objectifs climatiques ?
Si la Chine a pris une longueur d’avance, rien n’est encore joué. Mais il faut faire vite. Imaginer des coopérations internationales inédites. Construire une économie circulaire des métaux critiques. Et replacer la durabilité au cœur de chaque étape de la chaîne.
La gestion des terres rares ne peut être un angle mort de la transition. Elle doit devenir un pilier de la coopération mondiale, faute de quoi la promesse d’un monde décarboné pourrait bien n’être qu’un mirage technologique.