Vie du MEDEF
Numérique et innovation

Revivez #LaREF25 - "Qui va gagner le match des datas ?"

Avec Xavier Bertrand, Clara Chappaz, Bertrand Dumazy, Cyprien Falque, Octave Klaba et animé par Philippe Mabille.

Verbatim

Bertrand Dumazy : "Sur nos plateformes, nous avons plus d'un million de transactions par mois, donc on prend très au sérieux le match de la data."

"Travailler avec des fournisseurs nord-américains n'est pas un choix, mais une obligation."

"La data, c'est la quatrième révolution industrielle."

"Nous n'avons pas gagné le premier set au niveau européen, mais nous allons gagner la bataille. Pour cela, trois conditions : une présence mondiale, un catalogue de services très riche et enfin trouver des développeurs, qui développent en prenant en compte une offre européenne."

"Il va falloir agir et agir vite !"

Octave Klaba : "Le cloud en Europe va représenter d'ici deux ans plus de chiffre d'affaires que l'ensemble des opérateurs télco."

"Nous avons un plan d'extension à travers l'europe. Même si on est aujourd'hui présent en Allemagne, Pologne, Angleterre, Etats-Unis, Canada, etc., on va renforcer notre typologie des data  pour pouvoir aller plus loin et on va ouvrir bientôt l’Italie, dans quelques semaines, et le prochain sera Berlin "

"Les investissements sont tellement importants que vous ne pouvez pas juste cibler un pays, un segment des clients, et leur vendre une typologie des produits, vous devez aller vraiment worldwide."

Cyprien Falque : "S3NS a été créé voilà cinq ans maintenant, c'est une filiale de Thalès qui a pour objectif de fournir un cloud de confiance. On se sent vraiment français et européen."

"On a besoin du cloud pour rester en vie."

Clara Chappaz : "Nous sommes à un moment de vérité, va-t-on continuer à creuser la dette ou créer des investissements nécessaires pour créer le futur et gagner le match ?"

"Nous avons les entrepreneurs les plus déterminés, qui ont envie de gagner le match. Mais pour le gagner, il faut d'abord être très lucide. Aujourd'hui, on n'a pas les marges de manœuvre pour pouvoir investir comme on le voudrait dans toutes ces technologies, le cloud, la data, l'intelligence artificielle,"

"On est dans un monde de prédateurs, dans lequel certains pays n'attendent pas. Nous ne pouvons rester dans cette situation de vassalité heureuse, dans laquelle on a été depuis un certain nombre d'années "

"On est le continent où la data est la plus structurée, parce qu'on a 40 ans, 50 ans d'innovation industrielle derrière nous."

"Depuis 2018, on a lancé en France une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle, sous l'impulsion du président de la République, pour se dire on a les talents, on va investir dans notre recherche, on a les infrastructures, on a une énergie nucléaire décarbonée abondante... Donc c'est un atout majeur."

"On fait tout ce qu'on peut pour accélérer la mise en place des projets et créer les solutions qui vont nous permettre de faire accélérer la recherche."

Xavier Bertrand : "Tout d'abord, c'est un match qui se joue en France, mais qui se joue aussi sur d'autres terrains. C'est vrai au niveau européen. C'est vrai au niveau international. Il faut bien comprendre que si nous ne gagnons pas ce match, si nous ne jouons pas ce match, nous serons définitivement en deuxième division."

"On a besoin aussi de faire de la data une priorité politique partagée à tous les niveaux,"

"On va avoir besoin de serrer les clauses pour garantir que les règles américaines avant Trump et avec Trump ne s'appliqueront pas. Les garanties sont essentielles, mais il nous faut des datas centers chez nous !"

"Il faut que le monde de l'entreprise exprime combien tout le monde a absolument besoin de ces datas centers chez nous !"

"Il va falloir aussi doper les investissements."

"L'Europe doit innover avant de réglementer. Parce que tout ce qu'on est en train de faire aujourd'hui, c'est comme si on avait inventé le permis de conduire et qu'ensuite on avait inventé la voiture."

"On se fixe des règles que nous respectons à la lettre, le petit doigt sur la couture du pantalon, pendant que les autres ne respectent pas ces règles."

Clara Chappaz : "Il faut qu'on réduise la charge administrative sur les entreprises."

"Le point sensible sur les GAFAM est très juste, quand on entend des propos sur la régulation des GAFAM, se cache derrière une hégémonie commerciale des enjeux importants qui vont au-delà de cette question de la simplification."

Bertrand Dumazy : "On a perdu assez sèchement le 1ᵉʳ set et une des raisons pour lesquelles on l'a perdu  c'est que la tech française et européenne est sous investie, sous capitalisée et  surréglementée."

"La donnée, c'est le carburant de la croissance."

Cyprien Falque : "Il n'y a pas de marché unifié en Europe aujourd'hui !"

Pour aller plus loin

La donnée est devenue le pétrole du XXIe siècle. Elle irrigue tous les secteurs, redéfinit les chaînes de valeur, bouscule les souverainetés, crée des dépendances, mais aussi des opportunités immenses. Santé, agriculture, finance, énergie, mobilité, culture : aucun domaine n’échappe à sa révolution. Mais qui dominera cette nouvelle ère ? Qui va gagner le match des datas ?

Un affrontement à plusieurs vitesses

Le match se joue à la fois sur le plan technologique, économique, juridique et géopolitique. Sur le front technologique, les géants américains (Amazon Web Services, Google Cloud, Microsoft Azure) contrôlent plus de 70 % du marché mondial du cloud. Ces plateformes n’hébergent pas seulement des données : elles conditionnent les algorithmes, les usages, les coûts. Par exemple, Netflix a totalement construit sa chaîne de valeur sur Amazon Web Services. Tesla, elle, optimise ses performances en temps réel à partir des données collectées par ses véhicules et traitées en propre.

En Chine, le pouvoir central a structuré l’économie numérique autour d’acteurs comme Alibaba, Baidu ou Huawei, avec un accès privilégié à des données de centaines de millions d’usagers, dans une logique de puissance étatique.

L’Europe, elle, reste technologiquement dépendante. L’initiative Gaia-X, censée structurer un cloud de confiance européen, peine à s’imposer face aux mastodontes mondiaux. Pourtant, certains acteurs résistent : OVHcloud en France ou T-Systems en Allemagne proposent des alternatives crédibles. Mais le chemin est encore long.

Réglementer ne suffit pas

Face à cette domination, l’Europe s’est dotée d’un arsenal juridique solide : RGPD, Data Governance Act, AI Act, Data Act. L’Union européenne veut incarner une voie éthique, centrée sur les droits des citoyens et la souveraineté numérique.

Comme le rappelait Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne entre 2019 et 2024 : « La technologie doit servir les gens, pas l’inverse. »

C’est une ambition noble. Mais elle ne peut être efficace sans contrepartie industrielle. Le risque est réel de devenir un continent qui régule, pendant que les autres innovent.

Prenons l’exemple de la santé. Le développement des médicaments repose désormais sur l’analyse massive de données génétiques, cliniques et comportementales. Les grands groupes américains comme Pfizer ou Moderna ont intégré dans leur R&D des technologies d’IA exploitant des volumes gigantesques de données mondiales. En France, le Health Data Hub devait permettre aux chercheurs d’accéder à ces données de manière encadrée. Mais les retards, les critiques sur l’hébergement initial chez Microsoft, et les lenteurs institutionnelles ont freiné son déploiement.

Autre exemple : dans l’industrie automobile, les constructeurs allemands ont compris qu’il ne suffisait plus de fabriquer des voitures, mais de contrôler la donnée embarquée. C’est pourquoi BMW ou Volkswagen développent leurs propres plateformes logicielles internes, face à la tentation de confier cette couche critique à d’autres.

Une souveraineté économique en jeu

« Tant que les PME européennes n’exploitent pas la donnée comme un actif stratégique, elles resteront dans une logique défensive. », souligne Gilles Babinet

En France, seules 16 % des PME utilisent des outils d’analyse de données avancés (selon l’INSEE). Trop souvent, la donnée est vue comme une contrainte réglementaire ou un coût, alors qu’elle peut être un levier d’efficacité, de différenciation et d’innovation.

Des initiatives existent : la plateforme Agdatahub mutualise les données agricoles entre coopératives, startups et instituts. France Identité, en phase pilote, vise à reprendre la main sur les données personnelles dans les services publics. Des secteurs comme la culture (via les données de fréquentation), l’énergie (via les smart grids) ou la finance (open banking) sont eux aussi en pleine transformation.

Mais ces efforts doivent changer d’échelle.

Le rôle décisif des entreprises

Les entreprises françaises doivent être actrices de leur souveraineté numérique. Cela suppose d’investir dans des infrastructures souveraines et sécurisées, de former les collaborateurs à la culture de la donnée, de créer des alliances sectorielles pour mutualiser les données non concurrentielles (ex : données sur la logistique, les flux d’énergie, les prix de matières premières) et de faire émerger une économie de la donnée responsable.

« Le match des datas, c’est d’abord un match d’ambition », disait Stéphane Richard, ex-PDG d’Orange.

Conclusion : le match reste ouvert, mais il faut jouer.

Qui va gagner ? Ce n’est pas écrit. Mais si l’Europe ne veut pas être réduite à une zone d’exploitation de données au profit d’acteurs extra-européens, elle doit reprendre l’initiative.

Cela suppose une mobilisation collective : États, entreprises, chercheurs, citoyens. Il ne s’agit pas de rejeter l’ouverture ou l’innovation, mais de construire les conditions d’une confiance durable dans l’écosystème numérique.