Revivez #LaREF25 - "L’Europe, quoi qu’il en soit ?"
Avec Jean-Noël Barrot, François Xavier Bellamy, Aurore Lalucq, Fabrice Le Saché, Emma Marcegaglia, Stéphane Séjourné et animé par Nicolas Barré.
Verbatim
Jean-Noël Barrot : "Les Européens ont rarement été autant en attente d'Europe. Dans un monde troublé, brutalisé, l'euro est une forme d'assurance vie."
"En quelques mois, le nouveau désordre mondial a perturbé, a bousculé un certain nombre de certitudes avec lesquelles nous vivions depuis près de huit décennies. La certitude de la paix. Nous avons aujourd'hui sur le continent européen une guerre de haute intensité et une Russie surarmée qui poursuit un dessin impérialiste et colonial. La certitude de la prospérité. Au moment où les Etats-Unis, la Chine se lancent dans une course à la domination technologique et où les guerres commerciales font leur retour. Et puis la certitude de la démocratie, alors qu'on a vu ces derniers mois des élections en Europe, dans l'Union européenne, être manipulées, voire annulées."
"Si nous voulons préserver tout ce que nous avons patiemment construit, si nous voulons être maîtres de notre destin et pouvoir peser à l'extérieur, il nous faut être fort à l'intérieur, Il nous faut développer de la force morale, de la force militaire et de la force économique."
Aurore Lalucq : "Trump est en train d'imposer un capitalisme d'extorsion."
"Quand est ce qu'on va comprendre que le business model de Trump, c'est de nous taper dessus !"
"C'est quelqu'un qui n'a pas de parole, on le sait, mais nous on n'a pas de courage au niveau européen et il serait peut-être temps qu'on en ait."
"Trump est en train de train de prouver que l'homme le plus puissant politiquement au monde est plus fort que l'homme le plus riche du monde, c'est-à-dire Elon Musk."
"La question, c'est celle de notre souveraineté. Est ce qu'on décide d'être souverain ou pas ? Parce que si ce sont les Etats-Unis qui décident de notre réglementation, allons jusqu'au bout en devenant un état américain, au moins, un siège au congrès !"
François Xavier Bellamy : "Il y a un bras de fer, il faut que l'Europe assume qu'elle a des intérêts à défendre. Mais il faut aussi éviter de rentrer dans une surenchère, qui serait destructrice de tous les côtés."
"L'Europe est confrontée à sa propre faiblesse. L'agressivité commerciale de Trump, c'est une donnée, ça ne dépend pas de nous. Ce qui dépend de nous en revanche, c'est de nous donner les moyens de créer pour nos entreprises le climat dans lequel elles pourront se développer, quel que soit les vents contraires."
"Le grand problème pour les entreprises européennes ne sont pas les droits de douane américains. Le grand problème est que l'Europe est en train d'asphyxier sa propre économie. Les Européens sont en train de toucher du doigt les conséquences de leur propre décrochage."
"La France a créé l'environnement le plus fiscalisé d'Europe. Nous avons le travail le plus chargé d'Europe. Quand l'Europe met une couche de réglementation, on en rajoute toujours trois et après on demande à nos entreprises d'aller jouer la concurrence mondiale !"
"Trump va continuer de créer des difficultés et on va continuer d'avoir du mal à les affronter. Commençons par libérer enfin nos entreprises des freins que nous nous sommes imposés à nous-mêmes."
"Il est temps de refaire de l'Europe le continent où l'économie de demain s'inventera."
Fabrice Le Saché : "Les Etats-Unis sont un partenaire important et cela ne changera pas. C'est un partenaire au-delà de l'économie, sur des questions politiques, sur des questions de défense, etc."
"Comment la Commission peut-elle s'engager pour les entreprises ?"
"On a notre destin entre nos mains. Ce n'est pas à Pékin et Washington, mais à Bruxelles et à Paris qu'on peut agir contre les colis de Shein ou Temu, qui ne respectent aucune de nos réglementations environnementales et sociales."
"On a notre destin entre les mains, mais on s'empêche nous-mêmes."
Emma Marcegaglia : "Europe is still a place where there is democracy. I don't want to become as the United States or as China."
"We have the leadership in some important business and innovation !"
"We know what we need to do, the problem is that we are too slow !"
"It's realy time to decide to change and to be courageous, there is a lot of space for European culture and our European way of life !"
Stéphane Séjourné : "Cet accord avec Trump, c'est l'accord de tout le monde, pas uniquement de la Commission européenne, nous sommes tous responsables du résultat."
"Cet accord-là n'est le pire accordé. C'est probablement sur le papier le meilleur. Je le dis sincèrement."
"Une partie de ces tarifs d'ailleurs seront financés et payés par les Américains. Mais néanmoins le deal, la contrepartie, c'était la prévisibilité pour pouvoir investir sur le long terme et pour pouvoir organiser les chaînes de valeur, mais cette prévisibilité n'est pas encore là et c'est mon inquiétude."
Pour aller plus loin
Nous vivons aujourd’hui dans un monde en pleine recomposition. Un monde où la concurrence s’intensifie, où les rapports de force se redessinent, où États-Unis, Chine, Russie rivalisent pour imposer leur modèle et leurs valeurs. Dans ce contexte, l’Europe se trouve à la croisée des chemins, obligée de faire des choix décisifs pour préserver sa place sur la scène internationale. Mais à quelle place peut-elle vraiment prétendre ? Entre intégration plus poussée, indispensable face aux géants économiques mondiaux, ou retour aux souverainetés nationales, jugées mieux adaptées aux réalités locales, quelle stratégie adopter pour assurer compétitivité, innovation et cohésion sociale ? L’Europe peut-elle encore se permettre le « luxe de l’innocence stratégique » et rester figée dans l’attentisme ?
Un monde qui n’attendra pas
Longtemps considérée comme un îlot de stabilité, l’Europe est aujourd’hui confrontée à des défis multiples : économiques, technologiques, climatiques et sécuritaires, notamment depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a brutalement rappelé à l’Europe la réalité de la guerre à ses frontières. Démographiquement vieillissante, militairement faible et dépendante, énergétiquement vulnérable, elle est aussi divisée politiquement et confrontée de plus en plus à la montée des populismes et des extrêmes.
Face à elle, les grandes puissances n’hésitent pas à affirmer leur influence. La Chine avance ses pions en Afrique, en Asie, en mer de Chine, dans le numérique et l’intelligence artificielle. Les États-Unis, hier alliés historiques, marquent aujourd’hui, avec le retour au pouvoir de Donald Trump, une réelle rupture, voire une hostilité envers le vieux continent sur le plan diplomatique et commercial. Ils se tournent résolument vers l’Asie et privilégient avant tout leurs intérêts. Pendant ce temps, la Russie poursuit ses assauts impérialistes et le « Sud global » revendiquant de plus en plus une nouvelle place dans les affaires du monde.
L’Europe ne manque pas d’atouts
Dans ce contexte difficile, faut-il pour autant céder au pessimisme ? L’Europe, premier marché économique mondial dispose toujours de nombreux atouts, au rang desquels ses standards juridiques, éthiques et environnementaux, qui font référence. Elle reste aussi le continent de la culture, de l’éducation et des libertés fondamentales.
Elle peut donc devenir une puissance d’équilibre, de dialogue, de transition écologique, à condition de croire en elle-même, de réaffirmer son unité, d’investir dans sa souveraineté et de réaffirmer fermement ses valeurs. C’est à l’Europe de décider si elle veut être « une puissance d’avenir, ou un souvenir d’unité passée ». C’est à l’Europe de choisir d’être une Europe puissance plutôt qu’une Europe suiveuse, divisée et marginalisée.
Il ne faut pas se voiler la face, le modèle européen actuel est à bout de souffle, comme l’a clairement montré le rapport de Mario Draghi. L’Europe ne pèse rien face aux GAFAM, est en retard sur l’IA, dépend du gaz étranger, des batteries asiatiques et des puces américaines, etc. Si elle veut rester une terre d’influence et ne pas devenir un terrain de jeux pour les autres puissances, elle ne peut se contenter de rester un « soft power », mais doit faire montre de courage politique, pour affirmer son autonomie stratégique, développer sa capacité militaire et renforcer son poids diplomatique en nouant de nouveaux partenariats. Pourquoi ne pas s’allier plus au Sud global pour résister à l’encerclement des États-Unis trumpistes et de l’axe Xi-Poutine ? L’Europe est déjà le premier fournisseur d’aide au développement des pays du Sud. Mais elle agit en ordre dispersé. Il faudrait désormais coordonner ces aides sous la houlette de l’Union pour ne pas laisser le champ libre à d’autres, Chine et Russie en tête.
Tout cela demande aux dirigeants européens de s’engager avec courage dans une réponse commune aux défis géopolitiques et de sortir de leur vision à court terme. Cela implique également de lutter contre l’euroscepticisme ambiant et de renforcer l’unité des 27 autour de stratégies cohérentes.
Concilier unité européenne et diversité des intérêts nationaux
Plus facile à dire qu’à faire ! Si certains pays plaident aujourd’hui pour une Europe plus intégrée, avec une politique étrangère, de défense et économique commune plus forte, d’autres, Hongrie en tête, remettent en question certains fondements de l’UE. Depuis ses origines, l’Union est bâtie sur un équilibre fragile : d’un côté, un besoin d’unité pour peser sur l’échiquier international et relever des défis communs, de l’autre une volonté des États de garder leur souveraineté et leur singularité. Afin de concilier les deux, l’Europe a mis en place plusieurs outils, comme le principe de subsidiarité par exemple ou des clauses d’exemption, mais au fil des élargissements successifs, les divergences se sont accentuées et les tensions économiques actuelles aggravent encore les choses. Les dissensions sont fortes sur les sujets centraux pour la vie européenne : politique agricole commune, politique industrielle et de concurrence, compétences de la Commission… et bien sûr politique de défense. Si l’’unité en matière de défense semble indispensable, elle se heurte en effet à la diversité des intérêts et des alliances historiques.
Pour régler ces problèmes de divisions faut-il aller comme certains le préconisent vers une Europe à géométrie variable avec une meilleure prise en compte des spécificités de chacun ?
Focus sur la défense
Depuis la guerre en Ukraine, l’idée d’une Europe de la défense revient au premier plan.
Les Européens ont compris qu’ils ne pouvaient plus dépendre entièrement des États-Unis via l’OTAN. Mais la mise en place d’une défense européenne se heurte à des divergences nationales fortes. Même si, avec l’élection de Friedrich Merz, l’Allemagne se rapproche de la France sur le sujet, les intérêts stratégiques restent très différents entre les 27. Les pays d’Europe de l’Est voient toujours l’OTAN et les États-Unis comme les seuls garants crédibles de leur sécurité et certains pays neutres restent réticents à toute militarisation européenne. Résultats : pas d’armée européenne unique, pas de stratégie militaire commune et des budgets de défense très inégaux. Malgré tout, des formes de coopération émergent, comme la création du Fonds européen de la défense, preuve qu’un compromis est possible : il ne s’agit pas d’imposer une armée européenne à tous, mais de construire une souveraineté partagée, qui respecte les sensibilités nationales tout en permettant à l’Europe de se défendre par elle-même dans un monde incertain.
A quand les Etats-Unis d’Europe ?
Dès 1849, Victor Hugo plaidait pour des « États-Unis d’Europe ». Mais aujourd’hui, l’idée semble bien lointaine. L’Europe apparaît plutôt comme « une vieille dame rouillée qui a mal à ses rhumatismes » et non plus comme le grand projet du siècle.
Le 9 septembre 2024, l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a remis à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, son rapport sur le « Futur de la compétitivité européenne ». Il propose un changement radical avec la mise en œuvre d’une véritable politique industrielle, capable de stimuler des « champions européens » y compris dans l’armement. Emmanuel Macron pour qui « il faut bâtir une Europe en capacité de montrer qu’elle n’est jamais le vassal des États-Unis d’Amérique », poursuit le même objectif.
Pour que l’Union européenne fonctionne, disait Jacques Delors, « il faut la compétition qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce ». L’Europe de demain saura-t-elle relever les défis auxquels elle est confrontée et se réveiller, pour se montrer à la hauteur de son histoire et de sa puissance et prouver que « l’Europe n’est ni un musée, ni un souvenir, mais une promesse » ?